Pierre M. CONLON
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Venant combler une lacune ressentie par tous les spécialistes et rendre d'éminents services aux bibliothécaires et aux dix-huitiémistes, Pierre M. Conlon, professeur émérite de Mc Master University à Toronto, donne, depuis 1983, la bibliographie chronologique de la première édition des ouvrages publiés durant le XVIIIe siècle par des écrivains français. Une enquête minutieuse à travers les bibliographies et les catalogues édités, mais aussi des recherches approfondies dans les bibliothèques françaises de Paris et de la province, et dans des bibliothèques étrangères, lui ont permis de parfaire cette bibliographie qui couvre la période allant de 1716 à 1789.
Soucieux que sa bibliographie reflète le caractère encyclopédique des intérêts manifestés par les écrivains et les érudits du XVIIIe siècle, l'auteur répertorie les ouvrages se rattachant à des domaines aussi variés que la philosophie, la religion, les sciences et l'histoire. Les documents purement administratifs, les lois et les statuts, ainsi que les factums pour lesquels il existe, en partie du moins, des répertoires publiés, ont été exclus du recensement.
L'ampleur des recherches et des dépouillements est attestée par la liste des sources utilisées et celle des bibliothèques citées, énumérées en tête de chaque tome.
Tome XXIV:
Durant les dernières années du règne de Louis XVI, la détérioration des conditions de vie du peuple est flagrante. Les Français vivent pour la plupart dans la pauvreté. Au début de 1789, un faisceau de circonstances contribua à rendre leur existence plus difficile encore. La médiocrité des récoltes en 1788 avait provoqué le renchérissement des denrées alimentaires. Le chômage était endémique.
Pour chaque ann©e, on dispose de deux listes alphabétiques, l'une des ouvrages anonymes, l'autre des auteurs, avec une numération continue. La notice bibliographique est suivie de la localisation de l'ouvrage dans les bibliothèques, l'exemplaire examiné par l'auteu étant distingué par un astérisque.
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Lorsque Buffon mourut en 1788, on rappela sa vie en deux biographies élogieuses. Disparus dix ans plus tôt, Rousseau et Voltaire étaient toujours bien vivants dans la mémoire générale. Sur Rousseau, il y eut les éloges de Bilhon et de Desmolin et, surtout, la Lettre de Madame de Staël. Voltaire fut l'objet de la critique de Gibert, de Ruault et de Linguet, en particulier. Avec Linguet, les écrivains les plus en vue étaient Condorcet et Mirabeau.
Les traductions en langue française étaient nombreuses, notamment de l'anglais et de l'allemand. La popularité du roman anglais ne montra aucun signe de recul.
La religion restait une préoccupation majeure. La publication de recueils de sermons et d'ouvrages d'instruction et d'édification répondait aux vœux des fidèles. Les protestants jouissaient alors de l'égalité civile et d'une large mesure de liberté de culte. Cette nouvelle politique, hautement controversée, fut officiellement opposée par l'Eglise.
Pour réformer le système de justice et limiter le rôle politique des parlements, le roi décida de créer une nouvelle institution, appelée la Cour plénière, dont l'administration fut confiée à Lamoignon, garde des sceaux. Ce projet suscita une violente opposition, même des émeutes, comme à Rennes et à Grenoble. Alors, pour gagner le soutien général, le roi annonça sa décision de convoquer les Etats généraux en 1789, plutôt qu'en 1792 comme il avait annoncé. Le projet d'établir la Cour plénière fut abandonné.
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L’état du trésor royal continuait à se détériorer et, chaque année, un nouveau déficit venait s’ajouter aux précédents. Calonne, contrôleur général des finances, pensait qu’un impôt foncier constituerait un palliatif efficace. Pour cautionner cette politique, le roi convoqua en 1787 les représentants du clergé et de la noblesse, les grands propriétaires fonciers, à une Assemblée des notables. En l’occurrence, les nobles lui refusèrent leur appui. Les parlements en firent autant. L’autorité du roi souffrit une défaite de taille.
La réforme de la situation des protestants s’avéra moins difficile. En novembre 1787, fortement influencé par des juristes, Louis XVI signa un décret qui conférait un état civil à ses sujets protestants. Après de vigoureux débats, l’édit devint loi le 29 janvier 1788 avec la sanction que lui accorda le Parlement de Paris.
On continuait de manifester beaucoup d’intérêt pour la nouvelle république des Etats-Unis d’Amérique, pour sa population et ses institutions. Mais, trop souvent, on offrait aux lecteurs une image flatteuse du pays, très différente de la réalité. Cependant, Brissot de Warville, avec une intelligence certaine de cette dernière, en rendit compte plus correctement.
Joseph II poursuivait ses réformes dans les différents territoires mis sous son autorité, notamment aux Pays-Bas autrichiens. Malheureusement, il voulut faire vite, sans égard pour les sentiments de ses sujets ni pour leur attachement à des int©rêts particuliers. L’opposition fut générale. Finalement, des émeutes éclatèrent à Bruxelles en mai 1787. L’entrée en vigueur des réformes fut immédiatement suspendue.
En France, le monde des lettres changeait rapidement. A mesure qu’emp?rait la situation, la nécessité de trouver des remèdes s’imposait. Les écrivains, comme Mirabeau, accordèrent une attention accrue aux affaires publiques dans l’espoir de les réformer et d’influencer l’opinion.
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Les grands écrivains du siècle, Voltaire, d’Alembert et Rousseau, n’étaient plus. Diderot leur avait survécu, mais il était de santé précaire et la fin fut soudaine, en juillet 1785. Beaumarchais jouissait alors d’une réputation dominante dans le monde des lettres. Les premières représentations du Mariage de Figaro (1785) connurent un succès retentissant, dû largement à l’extraordinaire vitalité du personnage principal. Médecin, Mesmer pratiquait à Vienne où il se déclara capable de guérir ses patients en activant un fluide universel auquel il donnait le nom de magnétisme animal. Dénoncé comme charlatan, il quitta Vienne pour Paris où il se trouva bientôt au centre de controverses orageuses. Condamné par la Société de m©decine, attaqué de toutes parts, ridiculisé sur la scène, il se retira en Suisse en 1785 pour vivre obscurément. Le vif intérêt que l’on portait au magnétisme animal n'égalait guère l’enthousiasme qui régnait alors pour les ballons. Des ex ériences répétées furent exécutées partout en France, même dans de petites villes telles que Chambéry, Niort et Rodez. Les ballons firent l’objet de nombreux écrits, certains frivoles, d’autres tout à fait fantaisistes. L’année 1785 fut celle du centenaire de la Révocation de l’Edit de Nantes. Il semble bien que, par prudence, les huguenots ne publièrent en France aucun ouvrage commémoratif. Une attitude différente prévalait en Prusse où, en 1685, de nombreux protestants avaient trouvé refuge. Cent ans plus tard, dans une trentaine d’ouvrages, leurs descendants rendaient grâce pour leur bonne fortune. Durant ces années, la nouvelle République des Etats-Unis d’Amérique continuait à faire l’objet de la plus vive curiosité. L’intérêt prédominant des commentateurs se portait sur des sujets politiques tels que les libertés civiles, l’égalité des hommes en société, le gouvernement représentatif et les nouvelles institutions.
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Le dénouement de la guerre d’indépendance américaine fit monter l’intérêt que la France portait à la nouvelle république et suscita la publication d’une multitude de travaux. La guerre que se livrèrent l’Angleterre et la France prit bientôt fin. Lassés par ses efforts, la France se trouvait chargée de nouvelles dettes. A Genève, le conflit politique atteignit une telle intensité que la guerre civile sembla inévitable. Elle fut évitée de justesse par la ferme intervention de la France, de la Sardaigne et du canton de Berne. Pendant ce temps, en Autriche, Joseph II modifia sa politique religieuse en proclamant un édit de tolérance, la liberté du culte, confisqua des propriétés ecclésiales et ferma des établissements religieux qu’il jugeait superflus. Rencontrant Pie VI, venu à Vienne, il resta inflexible. Quoique l’intérêt suscité par ces différents mouvements révolutionnaires fût grand, il ne surpassa pas l’enthousiasme qui accueillit le lancement des ballons de Montgolfier en 1783. D’une façon moins spectaculaire, d’autres savants contribuaient alors aux progrès scientifiques, notamment Buffon, Lacépède et Lavoisier. Deux œuvres littéraires remportèrent, lorsqu’elles parurent en 1782, un succès considérable qui ne s’est pas démenti depuis: Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos et les Confessions de Rousseau. Les idées que Voltaire et Rousseau avaient défendues trouvaient une application dans les ouvrages d’écrivains aussi divers que La Harpe, Mirabeau, Marmontel, Mercier et Rétif de La Bretonne. Toutefois, la condamnation de l’injustice, l’idée dominante de l’œuvre de Voltaire et de Rousseau, trouve sa plus puissante expression dans les Mémoires sur la Bastille (1783) de Linguet.
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Le 22 octobre 1781 Marie Antoinette mit au monde un enfant mâle. Le sentiment d’unité créé par cet heureux événement se dissipa rapidement pour révéler les grandes difficultés qui affligeaient le pays. Les divisions religieuses se poursuivirent. La condition des pauvres était très dure. Profondément touché de leur misère, Parmentier poursuivait ses efforts pour découvrir de nouvelles sources de nourriture à leur intention. En dépit des difficultés de l’époque, la vie culturelle conservait toute sa vitalité. Les traductions d’ouvrages de langue anglaise demeuraient nombreuses et on comptait un nombre de traductions de l’allemand supérieur à celles du passé. Et l’ouvrage influent de Mesmer, Mémoire sur la découverte du magnétisme animal, parut en 1779. Rousseau et Voltaire continuaient de retenir l’attention publique. La Collection complète des œuvres de Rousseau fut publiée en 1780-1781 et ses Œuvres posthumes en 1781. Le panégyrique de Voltaire était le sujet du prix de l’Académie française en 1779 et, en 1781, on annonça une souscription pour la publication de ses Œuvres complètes. Ce projet fut dénoncé au Parlement de Paris par Eprémesnil. Il fut aussi condamné sans réserve par Machault, évêque d’Amiens, et par Le Franc de Pompignan, archevêque de Vienne. Au delà des frontières de France, il se passait d’importants événements. De sérieuses discordes avaient cours dans la république de Genève. Cependant, ce fut avant tout la Révolution américaine qui retint l’attention publique en France.
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En dépit de leurs profondes divisions, les Français apprirent avec joie que Marie Antoinette allait devenir mère. Elle donna naissance à une fille à la fin de 1778 et, en souvenir affectueux de sa mère, lui donna le nom de Thérèse. L’événement qui devait susciter un intérêt tout différent fut la Révolution américaine. Elle suscita une vive curiosité pour le continent américain en général, pour son histoire, pour ses peuples et ses institutions. Le gouvernement français, ayant tout de suite montré de la sympathie pour les Américains, ne tarda pas à leur donner un soutien actif, ce qui provoqua la guerre avec l’Angleterre. A la même époque, on poursuivait avec énergie la discussion de la conduite de la guerre sous ses divers aspects – la tactique, les fortifications et les sièges, le rôle de l’infanterie, de la cavalerie et de l’artillerie. Le monde des lettres demeura riche et varié à d’autres égards. Il devait sa vitalité à des écrivains comme Diderot, Beaumarchais, Condorcet et Holbach. La vie culturelle continuait à s’enrichir de multiples traductions, en particulier de l’anglais et de l’allemand. En ce dernier quart du XVIIIe siècle, quelques grandes figures du Siècle des Lumières disparaissent. Mlle de Lespinasse mourut en 1776 et Mme de Geoffrin l’année suivante. Voltaire et Rousseau moururent tous deux en 1778, ayant vécu leurs derniers jours de manières singulièrement contrastées. Ils laissèrent un héritage qui allait enrichir les peuples de nombreux pays et pour bien des années à venir.
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Louis XV mourut au printemps de 1774, peu regretté par ses sujets. La distance qu’il leur avait marquée paraissait de l’indifférence et ils le tinrent, en plus, responsable de la singulière rigueur de leur vie. L’accession au trône de Louis XVI fut accueillie avec joie. L’annonce en novembre 1774 du rappel des parlements ne fit qu’augmenter la faveur dont jouissait le roi. Cette euphorie allait être de courte durée, détruite par le système fiscal oppressif et, surtout, par l’état de l’économie. Comme le blé, aliment de base, était devenu rare au printemps de 1775, la famine et la colère provoquèrent des émeutes à Paris et dans les villes avoisinantes. Ces soulèvements furent écrasés sans pitié. Quelques mois plus tard, le clergé se réunit en assemblée générale mais ne se prononça que sur des sujets qui le concernaient étroitement. Louis XV était mort de la variole. Une méthode d’immunisation, connue en France depuis la régence, se heurta à l’opposition du clergé qui la jugea une forme de révolte contre la volonté de Dieu. Après la mort du roi, Louis XVI et sa famille se firent inoculer, ce qui entraîna sans tarder la pratique de l’immunisation en France. Bien des écrivains connurent alors une grande prééminence: Rousseau, Beaumarchais, Voltaire, Marmontel, Diderot et le baron d’Holbach, par exemple. Il convient de remarquer deux nouveaux venus d’importance: Bernardin de Saint-Pierre et Jean-Paul Marat, le futur révolutionnaire.
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L’année 1770 fut marquée par divers événements notables. Ce fut l’année de l’infortuné mariage du dauphin avec Marie Antoinette d’Autriche. Ce fut aussi en 1770 que l’Eglise, en accord avec le Parlement de Paris, chercha à endiguer la publication des écrits considérés dangereux. Les ouvrages condamnés conjointement par ces deux institutions étaient principalement ceux de Voltaire et d’Holbach. En fait, l’Eglise se révéla incapable d’influer sur l’opinion de façon efficace, et le Parlement devait avoir bientôt des préoccupations plus sérieuses. Ses rapports avec le roi étaient tendus depuis longtemps. Finalement Louis XV décida d’intervenir avec décision. En 1771, les parlementaires furent bannis de Paris et leurs charges confisquées. Le roi demanda à Maupeou de constituer un nouveau Parlement privé de toute autorité politique. C’est ainsi que Louis XV affirma avec éclat son pouvoir absolu. C’est environ à cette époque que Rousseau revint à Paris. Son g©nie était désormais reconnu et son retour fut vivement acclamé, dans bien des cas avec ferveur. Quant à la renommée de Voltaire, elle était établie de longue date et l’on pensait qu’une consécration s’imposait. A cette fin, on lança une s?uscription dont les fonds furent utilisés pour commander à Pigalle une statue de Voltaire. L’ouvrage terminé, il fut accueilli avec désapprobation et dut demeurer dans l’atelier de Pigalle jusqu’à la mort de ce dernier. De manière générale, les écrivains envisageaient l’avenir avec confiance parce que des progrès paraissaient possibles. Pour Louis Sébastien Mercier, les progrès étaient vraiment inéluctables, la conséquence d’une révolution violente. Dans son récit L’an deux mille quatre cent quarante (1771), il décrivit ses vues sur la société future, où régneraient la paix et le bonheur, grâce au gouvernement d’un roi paternel. Son roman se situait en France, dans un avenir qui n’était guère lointain.
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